Obstétrique & paternalisme :
dans les archives de la médecine
par Howard Herrell, MD
Traduit et commenté de l’anglais
« Williams Obstetrics and Male Chauvinism »
de Novembre 2017 trouvable en ligne ici.
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Attention cet article parle des sujets suivants : binarité femme-non inclusif / violences gynécologique / paternalisme / accouchement
Contexte :
Cet article a été publié sur un site tenu par un médecin (MD) Howard Herrell. La gynécologie obstétrique a été longtemps (et est toujours) un domaine où les hommes cis blancs hétéros avaient tout pouvoir. Au delà des biais évidents pouvant découler qu’ils ne sont pas concernés et du manque d’intéressement global au corps de la femme et à leurs savoirs et ressentis, beaucoup de publications ont été faites, teintées de paternalisme à outrance, d’ignorance et de misogynie, ce que l’auteur appelle ici « male chauvinisme ».
Collecteur de textes sur la gynécologie obstétrique, il a trouvé des extraits intéressants, des perles de « chauvinisme masculin ».
En voici un conseil pour nos amis gynéco, de 1934, issu de Thorek’s Surgical Errors and Safeguards :
« Cultivez un sens de la proportion. Ne laissez pas le vagin trop serré après une intervention. Je sais que deux chirurgiens ont été assassinés par des maris enragés et ignorants, qui avaient trouvé que les vagins de leurs épouses étaient trop serrés pendant le coït. C’est toujours mieux de les laisser plus large que moins »
Il parlait bien sûr de réparations vaginales. Le même auteur était assez sage pour dénoncer plusieurs paragraphes plus tard : « beaucoup d’opérations inutiles sont effectuées pour des raisons pécuniaires. ». Cela semble être une époque dangereuse pour les chirurgiens pelviens ; Je serais prêt à parier que c’est une autre raison qui a amené ces deux chirurgiens sus-nommés à être tués (mais bon).
Joel-Cohen, dans son chef d’oeuvre Abdominal and Vaginal Hysterectomy (Hystérectomie abdominale et vaginale) a été assez aimable pour inclure séparément un encart à destination de « la sœur infirmière soignante » pour lui expliquer son rôle dans la procédure de l’hystérectomie. Ce court traité de seulement 15 pages ne devrait pas lui poser trop de problème pour comprendre sa place au bloc opératoire pendant que le chirurgien lit le traité complet de 170 pages. Ce dernier pourra y trouver des conseils comme celui-ci :
Thus the patient is admitted on a Sunday evening, has her operation on Monday morning, stitches out on Saturday and home on Sunday morning. I must admit that on numerous occasions, when the husband is a keen Sunday golfer, I discharge her on Saturday after removing her sutures.
Ainsi la patiente est admise le dimanche soir, a son opération le lundi matin, se fait enlever les points le samedi et peut rentrer chez elle le dimanche matin. Cependant je dois admettre que bien souvent, lorsque le mari est un golfeur du dimanche comme il se doit, je la libère le samedi juste après avoir enlevé les sutures.
Hmm. C’est vraiment trop sympa. Cela dit, l’ouvrage de Joel-Cohen est également remplit de conseils brillants et il fut un pionnier en son temps.
La 15ème édition de Williams Obstetrics (1976) a été éditée par Jack Pritchard et Paul MacDonald, tous les deux du Parkland Hospital à Dallas. Ils étaient tous les deux des personnalités importantes et des géants de leur temps. La 15 ème édition contient des révisions majeures par rapport à la 14 ème, éditée par Louis Hellman avec Pritchard, en second éditeur. Cette 15ème édition, œuvre de Pritchard, est particulièrement remplie avec arrogance. Les collectionneurs-collectionneuses de ce genre de livre sauront apprécier cette édition remarquable et cette entrée dans son index :
Chauvisime, male, quantités variables, 1-923
Si jamais vous vous posez la question, l’ouvrage fait 923 pages au total. La personne adorable qui a réalisé cet index a donc décidé de qualifier l’intégralité du texte de chauvin.
Pritchard et MacDonald ont également fait la révision de la 16ème édition de 1980, ainsi que notre mystérieux-se éditeurice.
Chauvisime, male, quantités volumineuses, 1-1102
Oui, l’ouvrage se rallonge, et a priori, le robinet misogyne ne s’est pas fermé. Dans la 17 ème édition, cette entrée dans l’index disparaît, et Norman Gant apparaît comme nouvel auteur.
Qui est cette audacieuse personne féministe qui a osé dénigrer le travail de Jack Pritchard en cachant ces merveilles dans cet ouvrage ? Et bien apparemment, c’était sa femme. Dans la préface de la 15ème édition, le dernier paragraphe apparaît comme suit :
Finally, no amount of thanks can express our gratitude to Ms. Signe Pritchard for her myriad contributions beginning with manuscript and ending (?) with index.
Et enfin, nous n’avons pas assez de remerciements pour exprimer notre gratitude à Madame Signe Pritchard pour sa myriade de contributions en commençant par la lecture du manuscrit et en finissant (?) par l’Index.
Je ne sais pas à quoi se réfère le « (?) » mais on peut vraisemblablement penser qu’il a rédigé la préface avant que l’Index soit terminé, et qu’il la remerciait timidement sur un travail qu’elle n’avait pas encore réalisé. On peut dire qu’elle l’a bien repayé.
Signe Pritchard est de nouveau remerciée dans la 16ème édition. Plus spécifiquement même, les deux auteurs Pritchard et MacDonald dédient cette édition à leurs épouses respectives (l’édition précédente étant dédiées aux médecins).
This edition of Williams Obstetrics is dedicated to Signe and Sue, whose love, loyalty, and devotion allowed us to pursue the careers that pleased us most–and whose patience, assistance, and criticisms renewed our dedication to do so.
Cette édition de Williams Obstetrics est dédiées à Signe et Sue, dont l’amour, la loyauté et dévouement nous ont permis de poursuivre les carrières que nous voulions, et dont la patience, l’assistance et les critiques ont entretenu notre engagement à celles-ci.
J’imagine qu’aucun d’entre eux n’a pris la peine de regarder l’index avant publication. Je n’ai aucune raison particulière de détester Pritchard, mais son ego sur-dimensionné était typique de l’époque. Il a été nommé chef du département de l’hôpital à 33 ans alors qu’il n’y avait qu’une seule autre personne travaillant là et en a fait une des facultés les plus importantes du pays. Peut-être que sa femme voulait juste faire une blague ?
Mais même si c’est un ponte, il faut toujours se méfier de ne pas faire un culte de la personnalité.
Pritchard, (comme Osler, Halstead et Howard Kelly avant lui) a juste été au bon endroit au bon moment. Plus la personnalité est forte, plus le dogme autour d’elle est persistant.
Par exemple, les auteurs recommandent le repos au lit pour traiter des contractions prématurées. Pourquoi ? Pritchard est connu pour avoir quasiment inventé l’obstétrique basé sur les faits. Donc on pourrait penser que la recommandation de rester au lit se base sur des faits scientifiques avérés.
Dans l’ouvrage, on nous explique que le succès de cette méthode repose sur « le fait que la mère soit alors rassurée d’être prise en charge ». En d’autres mots, calmez ces femmes hystériques avec un tour de passe-passe et son corps se soignera magiquement.
Mais par contre, dans le même chapitre, ils critiquent des études scientifiques précédentes qui proposent de traiter des femmes avec du Sulfate de Magnésium pour les contractions prématurées en justifiant : « la validité des conclusions qui en sont tirées sont suspectes. »
Où est le juste milieu ?
Se reposer a du sens, parce que cela va dans le sens social que les femmes sont des êtres faibles et que quand les choses vont mal dans une grossesse c’est à cause de leur faiblesse inhérente et de leur incapacité intrinsèque, mais le magnésium n’est pas efficace parce que Pritchard n’a pas eu l’idée en premier ????
Comme beaucoup de textes de l’époque, il y a du bon et du mauvais, mais la vision fondamentale que les hommes sont des sauveurs de pauvres damoiselles en détresse est omniprésente.
Pour rappel, la pré-eclampsie été appelée « toxemia » auparavant car l’on pensait que c’était lié à des toxines dans le sang maternel qui n’avaient pas été secrétées à travers la purification menstruelle cyclique normale. Les fausses couches étaient provoquées par des comportements que les femmes n’auraient pas dû avoir, comme soulever un sac de courses. Les biberons étaient meilleurs que l’allaitement au sein car les hommes l’avaient inventé pour surpasser les femmes. Aussi, pendant la moitié du 20ème siècle, l’Obstétrique n’avait pour but que de rendre les femmes enceintes inconscientes pour pouvoir les ouvrir-déchirer et en sortir l’enfant avec des forceps.
Cela sonne efficace et moderne.
Mais bien sûr, vous me direz, cela n’est plus comme ça maintenant.
Est-ce que vous n’avez jamais recommandé à une femme de rester allongée pour quelque raison que ce soit parce qu’elle était enceinte ? Vous êtes-vous déjà moqué-es d’une femme qui avait un plan de grossesse ? Est-ce que vous avez déjà dit à une femme de se détendre ? Est-ce que vous pensez qu’une césarienne est une avancée par rapport à un accouchement par voie basse ? Est-ce que vous pensez que lorsqu’une femme souffre de dépression ou d’anxiété c’est dû à des niveaux d’hormones anomaux ?
Une grande partie de la vision du monde des pratiques obstétricales modernes a été formée avec la conviction que les femmes étaient des incompétentes et des incapables et que la science devait les réparer.
Pensez à cela la prochaine fois que vous intégrerez de vieux mythes dans votre pratique.
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